Post

De notre histoire : Vision d'avenir à la lumière du passé

Le slogan de ce site, ‘From Bootleggers to Bitleggers’, ne se limite pas à une simple figure de style. Il porte l’esprit d’initiative, la volonté d’explorer les frontières et la capacité à générer de la richesse, caractéristiques propres aux actions réellement innovantes.

Il est essentiel de rappeler que l’innovation ne se produit pas simplement lorsqu’une bonne idée est énoncée, mais plutôt lorsque cette idée est réellement adoptée par le marché.

Prohibition et innovation

En 1919, les États-Unis mettent en place l’interdiction de la fabrication, de la vente et de l’importation d’alcool. C’est à ce moment que Saint-Pierre et Miquelon, idéalement situé, se transforme en plaque tournante du trafic vers l’Amérique.

Cette concrétisation magistrale est une importante composante de notre histoire et pourrait être enseignée dans les écoles de management en tant que démonstrateur de la stratégie de “l’ocean bleu”, une méthode d’analyse souvent plébiscitée pour définir le potentiel d’une proposition de valeur. Cette stratégie met l’accent sur la création de nouveaux espaces de marché, éloignés de la concurrence existante (océan rouge, là où, métaphoriquement, les poissons sont si nombreux qu’ils nagent dans le sang de ceux qui se font manger). Dans l’océan bleu, l’innovation peut prospérer sans entraves. Ici les avantages “géostratégiques” de l’archipel étaient particulièrement puissants, mais encore fallait-il les voir, les regarder, puis oser.

Impacts

Les années 30 ont vu émerger une transformation radicale dans le paysage de l’emploi à Saint-Pierre et Miquelon. De nombreuses personnes, autrefois engagées dans des métiers traditionnels, ont trouvé de nouvelles opportunités dans ce commerce. Cela va des pêcheurs devenus convoyeurs aux artisans qui ont adapté leurs compétences pour répondre aux besoins logistiques. La diversification des emplois a stimulé l’économie. Bien que peu aient réellement fait fortune, le trafic d’alcool a joué un rôle significatif dans la dynamique communautaire. Les relations entre les habitants ont été remodelées par les nouvelles opportunités et les défis introduits.

Le boom économique s’est traduit par d’importants développements d’infrastructures. Les ports ont été modernisés avec de nouveaux quais pour faciliter l’exportation, les routes maritimes et les collaborations ont été créées stratégiquement pour acheminer les cargaisons, et de nouvelles installations ont émergé pour soutenir cette activité (entrepôts, hôtel Robert…).

Encore de nos jours, les mots “Saint-Pierre et Miquelon” sont évocateurs pour les habitants des États-Unis de l’histoire de la prohibition. Récemment, une série populaire, Peaky Blinders, explore une partie de son intrigue autour de nos îles. Cette renommée continue de jouer un rôle significatif, non seulement dans le secteur du tourisme, mais également en tant que symbole d’une capacité distinctive et d’un état d’esprit qui ne demande qu’à s’épanouir davantage.

Analogie avec l’industrie numérique

La France métropolitaine et l’Europe ne sont pas historiquement les champions de l’innovation dans cette industrie. Dans un espace-temps parallèle, tandis que l’Europe semble “technocratiser” normes, lois, et conventions tel le fameux RGPD, des entreprises privées se déploient à la conquête des marchés mondiaux. C’est une Europe circonspecte et analytique qui fait face aux géants Etats-Uniens et Chinois qui osent tout :

  • L’ostracisation sociale de ceux n’utilisent pas les applications qui conjuguent surveillance d’état et numérisation des paiements en Chine.
  • La non-considération des risques sociétaux de l’IA générative sur les métiers créatifs / intellectuels
  • L’intense activité de cyber criminalité mondiale (The big hack en 2018, le boycott Huawei aux US…)
  • Les manipulations politiques sur les réseaux (scandale Cambridge Analytica, Péñabots au Mexique…)
  • L’émergence d’un lobbying de la peur de l’IA “Skynet” (cf : les tentatives actuelles de Sam Altman d’Open AI afin de forcer à légiférer en la faveur de son entreprise comme organisme de contrôle des IA en agitant l’épouvantail de l’arme de manipulation des futures élections US de 2024)
  • Ou encore l’impact abrutissant d’influenceurs mass médias, transformés en images de synthése réalistes, et dont les contenus vidéos sont intégralement générés automatiquement par des algorithmes

Les quelques amendes infligées, les limites d’âge sur les réseaux sociaux ou les lois anti-trust ne sont que poussières qui n’entravent en rien les colossales capitalisations qui profitent d’un monde numérique qui avance à la vitesse de la fibre optique.

La réponse à une attente du marché est toujours plus rapidement adoptée - 2 mois pour 100 millions d’utilisateurs de ChatGPT, 9 mois pour TikTok -. L’industrie numérique ne contribue pas en soit au progrès de l’humanité, ses produits les plus rentables sont une drogue dont la pénétration sociale est souvent ciblée sur la création artificielle de besoins par l’exploitation des biais psychologiques, la vanité des usagers ou encore le productivisme et la cupidité. Le tout souvent financé par la publicité. Les lois quant-à elles, viennent toujours (bien) après et c’est souvent là que se trouvent les opportunités qui se valorisent en milliards.

L’émergence de l’intelligence artificielle, et particulièrement de l’IA générative, joue un rôle essentiel dans la stimulation de l’innovation dans ce secteur en 2024. Des questions se posent lorsque l’on considère l’approche sans compromis de ses éditeurs qui alignent une vision hégémonique États-Unienne du monde avec une voracité énergétique méprisante des enjeux climatiques, un manque de respect envers le droit d’auteur ou encore l’acaparement des démarches Open-Data dopées à l’exploitation condamnable d’annotateurs humains (travailleurs du clic).

Ce que nous souhaitons souligner ici, c’est cette audace sans réserve, cette accélération brutale de la mise sur le marché de technologies, qui, sans poser de questions autre que le capital, propulse une dynamique mondiale faisant passer les bootleggers des années 30 pour des enfants qui jouent aux billes. Seule l’histoire déterminera comment de telles pratiques seront perçues, mais elles doivent certainement alimenter aujourd’hui la réflexion sur sur ce que nous pouvons / voulons faire avec le numérique, sur les valeurs que nous souhaitons défendre et sur quels marchés.

Nouvelles perspectives européennes

Nous mentionnions auparavant le manque de compétitivité des entreprises françaises et européennes en matière d’innovation. Cela est principalement lié à la prudence dont l’Europe fait preuve pour se positionner, sans doute aussi par un regard historiquement humaniste porté sur son peuple et ses libertés fondamentales.

Note de l’auteur : L’une des facettes de mon activité professionnelle consiste à promouvoir le logiciel libre, la recherche ouverte dans l’intelligence artificielle et la libération publique des technologies afférentes afin de proposer une alternative éthique, souveraine, et énergétiquement soutenable aux solutions fermées des Google, Amazon, Microsoft, OpenAI, Tencent… Cette troisième voie numérique vise à établir en Europe une capacité d’innovation alliant respect des individus et excellence technologique.

Outre de nombreux instruments de financement Français et Europééns, le programme DIGITAL Europe - pour une Europe numérique - prévoit un investissement stratégique de 7,5 milliards d’euros (2023/2027) et soutient des projets dans cinq domaines clés, le supercalcul, l’intelligence artificielle, la cybersécurité et les compétences numériques avancées. Son objectif est de conduire la transformation numérique de la société et de l’économie européenne en favorisant une large utilisation des technologies de l’information et de la communication, y compris via des pôles d’innovation numérique, avec un accent particulier sur les avantages pour les petites et moyennes entreprises.

En tirant parti de la législation européenne en matière de protection des données, de respect humain et de sécurité, adossés à de nombreux instruments de financement publics, nous avons la chance d’évoluer dans un environnement numérique sûr où les entreprises peuvent prospérer. Cela permet non seulement de renforcer la confiance des utilisateurs des services numériques, mais aussi sans doute de positionner à terme l’Europe comme un acteur clé dans la protection des données, la cyber-sécurité et la promotion d’une approche éthique du numérique.

Cette vision de l’écosystème forme des contraintes qui semblent freiner la compétitivité immédiate face à des initiatives qui ne s’encombrent pas de scrupules. Pourtant, nous découvrirons, dans le prochain article d’appui à notre postulat, en quoi Saint-Pierre et Miquelon a l’opportunité de tirer parti de la démarche européenne et de la conjuguer avec ses propres atouts pour s’intégrer pleinement dans la dynamique mondiale de l’innovation numérique.

Conclusion :

L’audace est toujours un moteur, comme il l’a été pour l’exploitation de la prohibition sur nos îles, comme il l’est aujourd’hui pour beaucoup d’entreprises qui dirigent le monde, ou tout du moins le monde capitaliste. Rappelons que le chiffre d’affaires d’Apple ou de Google dépasse le PIB de la plupart des pays.

Nous tenions surtout ici à raviver l’esprit d’initiative en exposant la nature même de l’industrie numérique qui sent, avouons-le, le whisky de contrebande et la Californie de 1848.

Nous défendons des valeurs éthiques et des usages technologiques sources de progrès pour les hommes et la planète. Bien que l’industrie soit loin de fonctionner partout avec ces valeurs, ce n’est pas un handicap mais une force pour un nouveau terrain de possibles. Je vous invite à découvrir dans l’article épinglé ci après, et qui conclura notre argumentaire sur le postulat fondateur de notre initiative, pourquoi le numérique à Saint-Pierre et Miquelon est notre nouvelle zone d’Océan Bleu.

Note Du Rédacteur : Cet article est le deuxième volet des trois thèmes qui nous ont fait “oser” le postulat fondateur de ce site sur l’industrie numérique. Nous vous invitons à poursuivre votre lecture : De nos atouts : Pourquoi le numérique ?

Cet article est sous licence CC BY 4.0 par l'auteur.

Comments powered by Disqus.